Anatole Chartier, sur le fil du temps
par Doriane Spiteri


“Il se sentait si léger, si libre et totalement détaché qu’il eut peur de ne plus exister du tout, peur de se dissoudre dans l’air, de devenir cet être de sable, ballotté par les vents et retenu par les touffes d’herbe sauvage sur les dunes.”

Tahar Ben Jelloun, La Prière de l’absent, 1981.


La démarche artistique d’Anatole Chartier explore le corps et le mouvement. Entre installations, performances et vidéos, ses œuvres entretiennent des liens avec la danse et proposent des espaces sensibles et fragiles. Le sable, le vent, le corps, les éléments du paysage, deviennent les véhicules de nouvelles narrations. A la recherche de sens, ses œuvres interagissent avec l’environnement et tendent à provoquer des moments d’échanges. Ses installations proposent une expérience qui guide le spectateur vers une nouvelle perception de l’espace et du temps, produisant des récits qui transcendent l’instant. Chacune des personnes qui en fait l’expérience, co-réalise l’histoire de l'œuvre : “C’est comme si le réel et l’imaginaire couraient l’un derrière l’autre, se réfléchissaient l’un dans l’autre [...]1”.

Anatole Chartier sculpte la lumière, le mouvement, les formes, cherchant à dépasser la matérialité des objets et à modifier notre perception du monde et de la réalité. Le temps est distendu, étiré et la mémoire de l'œuvre la dépasse.

La procession du phare prend de la hauteur devant le centre d’art de Meymac. Ce phare démontable et nomade illumine la nuit de ses rayons. L’environnement s’anime, le paysage vibre au rythme des girations. La lumière devient le médium d’une chorégraphie nocturne et de nouveaux récits. Des yeux dans le vent propose une expérience sensorielle. Une assise sous forme de girouette s’oriente avec le vent et guide le regard de celui qui s'assoit.

Dans sa vidéo Le poids du sol, l’artiste, enveloppé dans une combinaison d’écailles en tissu plié, accueille une pluie de sable sur son corps. Une structure en bois remplie de sable se déverse comme un sablier, formant sur l’armure douce et molle des dunes éphémères. Le corps prend des postures sculpturales, chaque mouvement s’écrit dans le temps. La gravité du sol se renverse. Au sol face à la vidéo, la combinaison d’écailles attend sa prochaine douche de sable.

En privilégiant l’expérience de l'œuvre, Anatole Chartier conçoit des artefacts qui deviennent des supports narratifs. Ses œuvres engagent le corps dans une expérience sensible. Entre mouvement et contemplation, il explore la gravité, le poids, le corps, le temps qui passe. L'œuvre est vécue, ressentie et partagée.

Du phare à la pluie de sable, chaque œuvre devient un conte, une histoire qui évolue et qui laisse son empreinte dans une mémoire commune. En élaborant une poétique du paysage et en mettant en forme le temps, Anatole Chartier habite le monde.

1Gilles Deleuze, L’Image Temps, Cinéma 2, Paris, Editions de Minuit, 1985, p. 15.