D’un coup, un éclair qui fissure l’après-midi, délabre le ciel. Calmement je compte, un, deux, trois, quatre, et le tonnerre. Il gronde et je me lève. Je rentre car l’orage sera bientôt là.

Nos existences sont remplies de conversations maladroites avec les éléments ; on s’invente des rituels et des superstitions, on s’échange des savoirs contradictoires. Comme on baragouine une autre langue, on croit saisir à peu près ce que chaque tremblement signifie. En vérité, on traduit, on déchiffre comme on peut.

Anatole Chartier sent bien que l’on parle mal cette langue, qu’on en a perdu les subtilités. Il paraît que bientôt tout va s’ébouler, que le paradigme va changer ; peut-être qu’alors on ne comprendra plus rien. Pour celleux qui s’égarent déjà quand la map évolue, qui galèrent avec les violences du présent, qui gèrent mal les instabilités de l’en-dedans, les convulsions de l’en-dehors sont inquiétantes.

Il est deux heures moins le quart avant l’effondrement et l’on ne parle pas la langue de l’apocalypse.

La seule manière de ne plus avoir peur des bouleversements profonds, c’est d’être prêt à tout abandonner, à tout réapprendre. Alors Anatole, malgré les angoisses qui immobilisent et clouent au sol, choisit l’anticipation, la confrontation. Il retravaille l’ontologie, cherche comment engager des conversations nouvelles et plurielles avec le vivant.

Délicatement malgré l’urgence, Anatole ouvre des brèches, réalise des percées exploratoires dans des mondes spéculatifs. Il en extrait ce qu’il nomme des transducteurs. Des objets étranges, des instruments d’ailleurs qui convoquent de nouvelles manières d’être au monde, des artefacts du futur qu’il nous faut déjà apprendre à manier.

L’éco-fiction vient retailler notre réalité. Des hypothétiques sociétés d’après-demain, nous héritons en avance de nouveaux outils conversationnels. 

Anatole enfile la combinaison de satin qu’il a usurpée aux peuples souterrains. Sous une pluie minérale, il se laisse inonder. Les plis se gorgent de sable, retiennent un instant les grains avant de les laisser s’échapper. La combinaison révèle tout le poids du sol, nous enseigne qu’il n’y a pas à craindre l’ensevelissement, l’enfouissement. Bientôt, il nous faudra peut-être nous fondre dans les sols.

Du monde d’après, apparaissent des instruments éoliens : d’abord un cerf-volant, une girouette, bientôt une harpe. Ils requièrent de synchroniser les mouvements de nos corps avec les élans du vent. Ils façonnent de nouvelles expériences sensibles, murmurent des secrets. Alors, il faut apprendre à discerner les variations infimes qui annoncent précisément les ravages.

Les transducteurs nous disent aussi l’urgence d’unir nos voix et de joindre nos corps. Depuis le presque-présent est apparu un phare métallique et désarticulé. Le phare se déplace, s’assemble et s’active en communauté uniquement. Par ce rituel répété, il regroupe les hordes qui n’ont pas perdu espoir. Il est celui qui prévient que demain n’aura pas lieu, celui dont la lumière guide les égaré-es jusqu’en haut des montagnes. Autour de lui se prépare ce qui sera peut-être la dernière convergence, l’ultime soulèvement.

Les transducteurs nous rappellent les savoirs désappris. Certains chuchotent, d’autres grognent. Anatole ne présage pas de ce qui vient, n’imposent pas de solutions pour l’avenir. Il fait advenir dans notre présent des objets-hypothèses qui multiplient les possibles, perturbent nos savoirs et, paradoxalement, apaisent légèrement nos hantises.

Alors peut-être nous traverserons le souffle des orages.